Son travail littéraire, de moindre intérêt, prépare la somme des années 1946-194915. 3 On se référera aux travaux de Michèle Touret, Blaise Cendrars et le désir du roman (1920-1930), Champion, 1999, coll. Cendrars s’y met en scène, recevant au front la visite d’une sorte de reporter ou d’agent de la sûreté, désigné comme « un sale individu de police » (MC, p. 525), un « poète » et un « emmerdeur », qui l’interroge sur la légitimité morale de l’écriture de poèmes dans de telles circonstances et un tel lieu. Jusqu’à la déclaration de guerre, sa production littéraire est essentiellement constituée de reportages-nouvelles publiés dans cette grande presse de droite et d’extrême droite ; Cendrars assoit sa réputation de conteur d’« histoires vraies », souvent rocambolesques, toujours étonnantes. 39Plusieurs personnages témoignent de la déchéance sociale inexorable que connaît le parisien conduit à émigrer en banlieue, telle Mme Caroline dans L’Homme foudroyé (HF, p. 353). 51La prose dernière de l’écrivain manifeste une sensibilité inquiète face à l’avenir du monde, doublée d’un pessimisme social et politique total : Cendrars ne croit pas en la validité de l’engagement politique. « Folio », DL 2004 (désormais HF) ; Bourlinguer [1948], Denoël, coll. 1Depuis le xixe siècle, la notion de peuple est éminemment politique1. Le problème de cette conception de la temporalité proprement poétique appliquée au présent moderniste dans la poésie dâApollinaire, Cendrars et Reverdy est que le temps vertical « bouleverse le temps même de la vie », comme 10 Aragon, « Et comme de toute mort renaît la vie », préface aux Voyageurs de l’Impériale, Gallimard « Folio », 1965. 23 Voire « Rotterdam » dans Bourlinguer et LC, p. 30. ». Sur toute la surface de la terre on ne travaille que pour moi. La personnification sardonique renvoie au sadisme du poète vis-à-vis de Jehanne. C’est là qu’en 1943, après trois années de silence marquées par la profonde douleur de voir la France envahie, Cendrars reprend la plume pour une intense période d’activité créatrice : il écrit les quatre impressionnants volumes de ces mémoires « qui sont des mémoires sans être des mémoires ». Symboliquement, le train et métaphoriquement la poésie se situent dans les interstices du genre, « dans les trous ». 1° Introduction détaillée pour la lecture linéaire et pour la lecture cursive. 18Cet excentrement a été un choix constant dans l’itinéraire esthétique et politique de Cendrars. Son œuvre oscille entre :la poésie (la Prose du transsibérienet les Pâques à New-York, 1912) , les romans (l’Or, 1925, Moravagine, 1926) et les autobiographies romancées (l’homme foudroyé,1945 et la Main coupée, 1946). Ce livre est mis au pilon par les Allemands peu après sa parution ; Cendrars, qu’on soupçonne d’être juif, figurera sur la liste Otto des auteurs indésirables. Le rythme du poème alors s’accélère, saccadé par la brièveté des vers libres qui le composent, certains limités à un mot : « ferraille », « chocs », « rebondissement », voire à une onomatopée avec le « broun-roun-roun » des roues. Cendrars a alors réorienté son point de vue sur les événements de 1936. 45Les derniers textes de Cendrars assignent à la Grande guerre un rôle de ligne de partage34. OpenEdition est un portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales. « Nous sommes un orage sous le crâne d’un sourd… ». On notera dans la partie suivante justement le terme « sadisme ». 20Le Lotissement du ciel accentue cette mise en cause, à travers une accusation plus générale portée contre le modernisme et les choix de civilisation opérés par notre société occidentale. C’est à ça qu’aboutit toute cette immense machine de guerre. Elle devint ligue nationaliste et anti-parlementaire et participa aux journées de 1934. »… Cette question fait tourner court l’interrogatoire. Ce fut le cas en 1943 lorsqu’il se remit au travail après le « silence de la nuit » de la défaite et de l’Occupation allemande (HF) : le « peuple » qui accompagne alors l’écrivain foudroyé revêt des accents évangéliques. Le commentaire dilue la question politique dans une vision apocalyptique de la fin du genre humain, anéanti par la guerre (les gaz) ou plus vaguement encore asphyxié, terme dont on se demande s’il faut l’entendre au sens propre ou au sens figuré. 33Le peuple apparaît alors sous la forme de pêcheurs, de pauvres gens (et surtout de braves gens), d’ouvriers et d’artisans aux métiers les plus extraordinaires (égoutier ou scaphandrier), de “tribus” de chiffonniers (BP, p. 423), de romanichels (comme ceux qui logent derrière chez Paquita dans L’Homme foudroyé), de “gitanes”30, de voyous et de titis parisiens, de marginaux, de pauvres ères dépravés, voire abrutis (tel « l’homme aux rats » dans BP, p. 377), « des êtres de la nuit n’appartenant à aucun parti […] des êtres comme il en grouille dans les bas-fonds » (BP, p. 423), d’habitants de la « zone », de mendiants, de gardiens de moutons (BP, p. 434), de saints choisis parmi les plus humbles comme saint Joseph de Cupertino ou frère Jean, pauvre jardinier et saint « de l’humilité pure » (LC, p. 47)…. Il était un romancier qui avait une influence considérable sur le mouvement moderniste européen. Les grands systèmes prétendant organiser rationnellement la vie des hommes ne conduisent qu’à leur malheur individuel, parce qu’ils sont fondés sur l’uniformisation, le nivellement, la négation de l’individu…. Blaise Cendrars renouvelle ainsi de manière très étonnante et iconoclaste le poème dédiée à une dame. Cette mise en garde prend « à rebrousse-poil les amateurs de littérature engagée27 ». À ses débuts, il utilise brièvement les pseudonymes Freddy Sausey, Jack Lee et Diogène. 25Face à la déliquescence occidentale, Cendrars propose trois modèles : la Chine, où perdure une tradition de Sagesse, l’Angleterre23, incarnant un rêve de grandeur à travers Churchill et la constitution de l’Empire et surtout le Brésil, son utopialand24, nouveau monde où la civilisation n’est pas encore tout à fait parvenue à étouffer les vertus de la primitivité, à laquelle Cendrars associe le don de poésie (voir LC, p. 188), nation « civilisée, humaine et fraternelle » (HF, p. 350), virile à souhait, aux antipodes de l’efféminement et des raffinements de la civilisation. 50La perception symbolique, mythique et sentimentale du peuple, vient ici se substituer, de manière antagonique, à l’image honnie du peuple comme sujet politique revendicateur. L’hypallage donne un coeur au train personnifié qui palpite « au coeur des horizons plombés ». Si Cendrars manifeste constamment son attachement aux plus humbles, aux pauvres, aux mendiants, cette attitude relève moins d’une adhésion à une idéologie bien définie que d’un sentiment diffus d’identification, issu de la guerre, parfois développé selon une mythologie christique chère au poète. 9Une seule raison est avancée, marquée par l’affectivité, voire teintée d’irrationalité : Parce que je déteste les boches. La tétralogie fait ainsi perdurer une représentation de la politique forgée dans les années 1910-19303, où le rapport au peuple et à la question politique relève de l’émotionnel, de l’irrationnel, de l’affectif, et non d’une forme d’engagement partisan, posture violemment décriée par l’écrivain. L’homme politique ne saurait donc être qu’un être vil, animé par la cupidité et l’intérêt personnel. En somme, il s’agit de tirer Cendrars du côté de la gauche…. La grande question qui agite les milieux littéraires depuis la Libération concerne la responsabilité de l’écrivain, en d’autres termes l’engagement en Littérature. Avec Sonia Delaunay, il crée la Prose du Transsibérien, le premier livre « simultané » : les vers du poème sont liés à la peinture, des bandes de couleur. Blaise Cendrars, La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913. Blaise Cendrars : amour du peuple, refus de la politique. 16 Ses reportages parurent dans divers quotidiens entre le 15 février et le 30 avril 1940 (Miriam Cendrars, op. « Folio », DL 2003 (désormais B) ; La Main coupée [1946], Œuvres complètes, Denoël, t. V, 1960 (désormais MC) ; Le Lotissement du ciel [1949] et La Banlieue de Paris [1949], textes présentés et annotés par Claude Leroy, Denoël, coll. Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque/établissement d’acquérir un ou plusieurs livres publié(s) sur OpenEdition Books.N'hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées :OpenEdition - Service Freemiumaccess@openedition.org22 rue John Maynard Keynes Bat. 8 Claude Leroy, La Main de Cendrars, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1996. « Les Cahiers Blaise Cendrars » no 6 (en particulier « Une vision de l’homme et du monde » dans la 2e partie). 7 André Vanoncini, « À chaque guerrier son ennemi : La perception de l’adversaire allemand chez Apollinaire et Cendrars », Continent Cendrars no 11 : Blaise Cendrars : « Je suis l’autre », Champion, 2004, p. 47-59. Cendrars y montre comment toute une civilisation, une conjugaison de forces économiques9, a pu l’amener à ce point ultime où l’homme est réduit à être un assassin pour son semblable ; le meurtre individuel a été rendu possible et a été suscité par une collectivité. J’avoue qu’il y a de quoi et qu’il est légitime qu’il honore son PC qui siège à la mairie et qui la tient fermement en main, des gais lurons communistes, fins manœuvriers, décidés, qui ne reculeront pas et qui savent ce qu’ils veulent » (BP, p. 424). Or la politique a envahi le champ littéraire dans les années d’après-guerre et sommé les écrivains de prendre parti. Blaise Cendrars, de son vrai nom Frédéric-Louis Sauser, était un poète et écrivain suisse, naturalisé français en 1916. Explorateur du monde géographique et exotique, mais aussi de toutes les ressources de la poésie, il poursuit, après Baudelaire, Rimbaud et Apollinaire, la libération du vers et lâinvention dâimages insolites. À gauche également, Les Temps modernes fondé par Sartre en 1945 a récupéré une partie du “capital symbolique” d’une Nrf discréditée par la Collaboration. Victime d'une congestion cérébrale le 21 juil⦠Grenouillet, C., & Reverzy, É. Le personnage doit-il être exceptionnel dans la Princesse de Clèves ? 25 Voir sur ce point le livre passionnant d’Yvette Bozon-Scalzitti, Blaise Cendrars ou la passion de l’écriture, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. [Présentation du texte] Dans La Prose du Transsibérien, le poète se souvient de sa découverte émerve⦠31 Philippe Roussin, Misère de la littérature, terreur de l’histoire : Céline et la littérature contemporaine, Gallimard, coll. Cendrars s’y positionne clairement sur un bord hostile à ces ouvriers qui occupent leurs lieux de travail dans l’attente d’une transformation de leur vie sur le modèle soviétique. 20 « L’actualité de demain » (Histoires vraies, op. Un cri de désespoir, où sexprime la détresse morale de son auteur, comme le cri dun naufragé, dont voici un extrait : Pour un coup dessai, cest un coup de maître. Ils entraînent le lecteur dans un voyage cosmopolite imaginaire sans début ni fin (Montmartre, Moscou, Kharbine, Bâle-Tombouctou, Babylone, Montmartre, Auteuil, Patagonie, Bornéo, Paris-New-York …).La poésie surréaliste de Cendrars s’exprime à travers une réécriture de la mélancolie, motif traditionnel de la poésie ici revisité par le poète. En voici un extrait : On est donc loin de Montmartre. Il a commençé à écrire des poèmes lorsqu'il vivait à Saint-Pétersbourg. Ça oui. Merci, nous transmettrons rapidement votre demande à votre bibliothèque. Il s’adresse à ceux-ci en les traitant de « farceurs », brandissant contre l’idée d’engagement celle de « liberté ». Cendrars prend alors la posture, distanciée, d’un essayiste désignant les travers du monde dans lequel il vit. « Folio », 1996, p. 408-409. Il se prétend tel pour avoir rompu avec son milieu d’origine, avec son père tout d’abord en changeant de nom, mais aussi avec la classe sociale de ses parents, des bourgeois cultivés, mais instables et appauvris. Blaise Cendrars, La prose du Transsibérien, vers 157-192, (1913) (voir autre texte à la page 274 de votre manuel) Guillaume Apollinaire, 2ème canonnier conducteur, Calligrammes, 1918 Prévert, « La grasse matinée 1946 C - 13013 Marseille FranceVous pouvez également nous indiquer à l'aide du formulaire suivant les coordonnées de votre institution ou de votre bibliothèque afin que nous les contactions pour leur suggérer l’achat de ce livre. 48Existe-t-il, selon Cendrars, des solutions politiques aux problèmes suscités par notre modernité et aux conditions de vie misérables du peuple ? En isolant chacune de ces perceptions, en les séparant de ce qui les précède et ce qui suit, on ouvre le texte à lâexcès poétique de lâimage. 44Ainsi, La Banlieue de Paris n’épargne pas la médiocrité du rêve pavillonnaire des petits bourgeois et dénonce la haine méprisable de ceux-ci pour plus pauvres qu’eux. Cet extrait de la prose du transsibérien se décompose en trois parties : une première partie qui dit la peur face à l’inconnu dans le voyage, (V.1-7) puis une deuxième partie qui décrit la vitesse vertigineuse du train qui déforme le paysage (V.8-12) et enfin une troisième partie jusqu’à la fin de l’extrait qui traduit en mots les bruits du train. Le Panama ou les Aventures de mes sept oncles est un poème écrit par Blaise Cendrars, achevé en 1914 et publié en 1918.Il est intégré au recueil Du monde entier en 1919, dans lequel il forme la dernière pièce d'un triptyque composé des Pâques à New York (1912) et de La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France (1913). La deuxième guerre mondiale est déclarée le jour de son anniversaire : il a 52 ans. Il n’est pas non plus un “auteur Gallimard” en vue. État, régime, dictature, capitalisme, communisme, tous ces termes sont équivalents sous la plume de Cendrars : ils renvoient à une insupportable coercition pesant et entravant le libre développement de l’individu, sa singularité et son énergie. On pourra voir du Céline, ou du Miller, avec une touche de loufoquerie poétique à la Boris Vian, dans ce roman riche de mots rares, plein de cocasserie, qui rend hommage à François Villon. 46Ces « hommes libres » d’autrefois (HF, p. 220), ces « petits gars indépendants », souvent des compagnons du tour de France, sont le type d’ouvriers que célébraient Henry Poulaille et les écrivains prolétariens proches de l’anarchosyndicaliste dans les années trente… alors même que cette catégorie socio-professionnelle avait déjà en grande partie disparu au moment de l’écriture, cédant la place aux ouvriers d’industries. Après trois années de silence, il commence en 1943 à écrire ses Mémoires : L'Homme foudroyé (1945), La Main coupée (1946), Bourlinguer (1948) et Le Lotissement du ciel (1949). Rien ne semble susceptible d’évoluer : « […] ici dans cette banlieue parisienne, […] la misère imprègne tout et pue comme la première fois où j’y ai mis les pieds » (BP, p. 379). Vérifiez si votre institution a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books. 54S’il entend échapper à la question politique, Cendrars ne peut donc totalement s’empêcher de l’effleurer : c’est qu’on n’écrit pas dans une tour d’ivoire quand on se veut écrivain du monde entier et au cœur du monde. Cendrars se livre à un renouvellement du lyrisme musical dans lequel règne le « faux accord ». 47À l’époque où certains écrivains s’efforcent de donner une vision épique du travail d’usine, Cendrars célèbre l’homme nouveau – réminiscence futuriste sous sa plume (par ex. Le chantre du monde moderne, des autobus et des affiches, du machinisme et de l’esprit nouveau des années vingt s’est mué en un homme inquiet qui assiste à la déliquescence de notre monde occidental sous l’effet de la guerre, de la science et du matérialisme. Les habitants de l’Ancien monde, eux, ont été châtrés, des « capitaines d’industries sans couilles et sans prestige » au « prolétariat conscient et asexué » (LC, p. 190). L’inspiration futuriste de Cendrars fondé sur la fascination pour le mouvement, la vitesse et les nouveaux moyens de locomotion qui donnent le tournis au lecteur.Le poème transcrit par les mots la sensation de vitesse chère aux futuristes : « les gares obliques », « les poteaux » sont « grimaçants », « Le monde s’étire s’allonge et se retire comme un accordéon qu’une main sadique tourmente ». En partance pour une journée de travail, jâemmène avec moi le fameux texte de Blaise Cendrars, si célèbre pour la modernité poétique qui en émane. La politique est trucage, combines malhonnêtes. Une partie du poème est consacrée à Jeanne, jeune fille frêle et prostituée originaire du quartier de la fête parisienne, Montmartre. Vivant alors en France, il participe au mouvement d’enthousiasme qui vient soudain balayer les réticences de tous les mouvements antimilitaristes, socialistes ou pacifistes, et « offre son bras » à la France (selon l’expression de l’appel qu’il lance avec le poète Canudo) ; il se trouve enrôlé dans un « régiment de marche des étrangers engagés volontaires » et laisse sur un champ de bataille en Champagne, son bras droit et sa première main d’écrivain. Problématique et découpage du texte en mouvements : Comment la modernité des vers figurent-elle le voyage hallucinatoire du poète dans le transsibérien ? Ses propositions, radicales, expriment avec une certaine dose de puérilité cet anarchisme latent qui fait le fond de sa pensée (ou de son absence de pensée) politique : « faire sauter tout le bataclan » (B, p. 425) ou arrêter de travailler (BP, p. 394) ! Frédéric Louis Sauser, dit Blaise Cendrars [sÉÌ.dÊaËÊ], est un écrivain suisse et français, né le 1er septembre 1887 à La Chaux-de-Fonds (Suisse) et mort le 21 janvier 1961 à Paris. Cette sexualisation de l’opposition entre la civilisation occidentale, mortifère et castratrice, et le nouveau monde du Brésil montre que même dans les pages de ses « mémoires » qui s’apparentent à des pages d’essai, Cendrars reste avant tout un poète et que sa représentation du monde obéit à un imaginaire poétique, non politique25.